J’ai suivi le courant de l’enthousiasme jusqu’à la Bastille afin de vivre L’Opérette Imaginaire de Novarina, orchestrée par Claude Buchwald, quelque temps avant Noël (Paris vient d’essuyer une bourrasque de neige). Quelle fête ! Les grands motifs oraculaires sont là, mais ils titubent de musique (grâce à Christian Paccoud) sous un manteau de mirlitons. La troupe n’a qu’à se laisser entraîner. Dans les rôles du E muet de l’Homme d’Outre-ça, de l’Homme Sang, de l’Infini Romancier, Daniel Znyk impose sa calvitie, sa bedaine, ses sourcils, sa puissance de stylisation. Il a mûri depuis le Sganarelle et le Mariage Forcé présentés par Jaques Lassale au T.E.P. La surprise naît d’un biscuit de jeune femme aux boucles de gitane, dont le timbre enrhumé porte sans effort aux cintres avec une expressivité homérique. Pendant l’entracte, des étudiantes se confient leur perplexité : « J’adore, mais je ne sais pas pourquoi ! » Le triomphe se parachève dans le désordre, à la confusion duquel l’actrice ajoute un fracas de caisse et de crécelles. Chaque intervention de ses partenaires est ponctuée par elle d’un trompetant refrain – Ah quel chaos ! Quel Tourment ! – à se lever de son siège. Valérie Vinci cahnte sa danse, danse sa chanson, dont la transe la fait vibrer de toute sa taille d’elfe. On dirait une évocation de la parole qui la traverse – la suggestion d’un trait (sans appuyer) -, accourue – par delà le souffle de l’Air – de beaucoup plus loin que je n’ai le courage de l’imaginer – du fond d’une danson, ou, qui sait ? d’un chan-sin.
Jean-Baptiste Goureau
Rappels (Champ Vallon)